Le droit de grâce est une prérogative personnelle du chef de l'Etat qui lui permet de commuer, de dispenser totalement ou partiellement l'exécution d'une peine prononcée par une juridiction répressive. Elle est prévue par l'article 17 de la constitution du 4 octobre 1958 : « Le Président de la République a le droit de faire grâce ». Effectivement, lui seul est juge pour commuer ou suspendre l'exécution d'une peine. Tel Saint-Louis sous son chêne, il accorde de façon discrétionnaire « grâce » à ses justiciables, ne se laissant, finalement guider que par le seul souci du bien général.
Prérogative souveraine, la grâce se rattacha dans un premier temps à une autorité sacrée, c'est-à-dire au divin. Elle se développa ensuite dans un contexte de puissance publique autonome dont la consécration se traduira dans l'exigence de la monopolisation étatique de la sanction. A l'intérieur même de celle-ci, il reste une zone qui ne peut être le fait que du chef de l'Etat, c'est le droit de vie et mort d'un condamné. Tradition qui a traversé les âges, elle relève de cette logique vertueuse que doit transmettre un chef d'Etat à son peuple : la rigueur publique doit parfois céder.
Pierre Corneille, dans la pièce Cinna ou la clémence d'Auguste, présente la grâce comme la plus haute des vertus princières et comme la manifestation éclatante de ce qui est, depuis Aristote, l'idéal moral le plus élevé, la magnanimité. C'est pour cela que l'impératrice Livie exhorte Auguste aux bienfaits de la clémence, même en la terrible circonstance d'une conjuration : « Qu'il peut, en faisant grâce, affermir son pouvoir, Et qu'enfin la clémence est la plus belle marque, Qui fasse à l'univers connaître un vrai monarque ».
Du point de vue symbolique, le droit de grâce participe, d'une certaine manière, au rayonnement de la suprématie présidentielle. A la différence du régime précédent, le droit de grâce n'est plus accordé en Conseil supérieur de la Magistrature, mais résulte de la seule volonté du Président de la République. D'ailleurs, malgré l'opposition farouche de deux membres du Comité consultatif constitutionnel désireux de voir la prérogative aux mains du C. S. M. (MM. Chazelle et Fourcade), la belle et noble prérogative demeurera une exclusivité présidentielle.
Charles de Gaulle était aussi un homme de cœur. Usant pertinemment de sa prérogative en matière de peine de mort, il commua 91,7 % des peines capitales. De 1959 à 1969, sur 146 condamnations à la peine capitale prononcées par les cours d'assises, 12 ont été exécutées. En présence d'infractions politiques, le général de Gaulle ne tenait compte que de la raison d'Etat (expression employée personnellement par lui). Lorsqu'il était président du GPRF, à la Libération, il s'était montré sévère et rigoureux pour les opposants idéologiques au régime démocratique (Pierre Pucheu, Pierre Laval, Joseph Darnand, Robert Brasillach). Mais il avait été clément à l'égard de personnes qui, s'étant laissées dépasser par des événements terribles, avaient cru agir pour le bien commun ou son illusion, tel le maréchal Pétain.
En revanche, lorsque la réconciliation nationale devait s'imposer à tout prix (notamment dans le contexte de la ratification du traité de l'Elysée, en janvier 1963 avec le chancelier Adenauer), il était beaucoup plus clément. Ceux qui ont eu des attitudes subversives lors de la crise algérienne, n'ont pas été traités avec une implacable sévérité, notamment les généraux Challe, Zeller et même Jouhaud, gracié in extremis. Bien que le général pensait que l'exécution condamnerait à tout jamais les attentats de l'OAS, le Garde des sceaux, Monsieur Jean Foyer, savait que « le refus de la grâce apparaîtrait comme une réaction d'irritation et de dépit qui n'était point dans le caractère du général de Gaulle et qui nuirait à sa gloire ». Il y a eu quatre exécutions dont celle de Bastien-Thiry, pour des hommes qui s'étaient livrés au terrorisme urbain pour le compte de l'OAS. Dès son arrivée aux affaires en 1958, il avait gracié la centaine de condamnés à mort algériens qui végétaient dans les prisons militaires.
A l'égard des infractions de droit commun, deux principes gouvernaient son attitude. Il graciait automatiquement les mineurs et les femmes, parce que celles-ci transmettent la vie, et il cherchait son inspiration dans le seul secret de sa conscience.
Certains juristes estiment que le droit de grâce ne peut se concevoir dans une République. Il serait une atteinte aux décisions des juridictions judiciaires. En fait, il n'en est rien puisque la grâce n'intervient nullement dans la peine, elle ne fait qu'en suspendre les effets. Beaumarchais disait : « Quand le mal a toute les audaces le bien doit avoir tous les courages ». Le général était un homme d'une grande impartialité, en quête de justice sociale et de dignité humaine. L'utilisation du droit de grâce témoignait selon lui de l'équité étatique. La grâce est sans doute la plus belle prérogative que peut posséder un chef d'Etat et il est important de reconnaître que le général de Gaulle lui a rendu son titre de noblesse.