Une course de fond de plusieurs mois tient en haleine chaque année gouvernement et Parlement. Préparation et vote du budget laissent peu de marge de manœuvre à l’exécutif, qui en fait un outil d’affirmation de ses choix politiques.
Le budget est donc une loi, plus exactement une loi de finances. Sa préparation et son exécution sont encadrées par un certain nombre de règles et de principes fixés par une loi organique ; celle en vigueur actuellement est la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), adoptée en 2001 en remplacement de celle de 1959.
La loi organique fixe un calendrier budgétaire (voir encadré) et précise que le budget doit être voté tous les ans pour l’année civile à suivre. Néanmoins, pour faire face aux aléas (crise économique, catastrophe naturelle…), il pourra être modifié en cours d’année par des lois de finances rectificatives (appelées aussi collectifs budgétaires).
Trois textes en un
Cette loi particulière regroupe trois sous-ensembles : le budget général, les comptes spéciaux et les budgets annexes. S’agissant du premier, le plus connu, il regroupe l’ensemble des recettes et des dépenses en respectant une règle, en vertu d’un principe : une recette particulière ne peut être affectée à une dépense particulière. Seul le budget général assure le financement des politiques du gouvernement, il est donc la traduction financière de ses choix. Il autorise la perception des recettes et approuve les dépenses de l’État pour l’année à venir. Les deux autres éléments de cette loi de finances échappent à la règle de non-affectation, ils sont donc présentés séparément : ce sont les comptes spéciaux, qui enregistrent des recettes et des dépenses provisoires, et les budgets annexes d’établissements publics qui s’autofinancent.
La quasi-totalité des ressources est d’origine fiscale. Le reste provient des amendes, des dividendes des entreprises publiques et des produits du domaine de l’État. Toute variation dans un sens ou dans un autre de la conjoncture économique se répercute donc directement sur les finances de l’État. En effet, en période économique favorable, l’activité des entreprises s’accélère, provoquant une hausse des recettes de l’impôt sur les sociétés et sur les revenus. De leur côté, les ménages consomment plus, ce qui permet d’améliorer le produit des impôts indirects, c’est-à-dire la TVA. Au final, c’est l’ensemble des recettes fiscales qui progresse. Le phénomène inverse se produit en situation de récession.
Il est donc essentiel que les équipes de Bercy anticipent au plus juste la situation économique à venir lors de l’élaboration de la loi de finances initiale. Elles s’appuient notamment sur les prévisions de l’INSEE, prévisions qui sont parfois battues en brèche par d’autres organismes de prévisions ou tout simplement par la réalité.
Ainsi, le budget 2013 a été construit à partir d’une hypothèse de croissance de 0,8 %, une augmentation de la consommation de 0,3 % et de l’investissement de 1,5 %. De tels objectifs devaient permettre à l’État d’engranger 312,8 milliards de ressources nettes en 2013. Malheureusement, la crise économique n’a pas été estimée à sa mesure réelle (et les politiques n’ont toujours pas de boule de cristal) : le gouvernement ne table plus que sur une croissance de 0,1 % tandis que l’INSEE croit plutôt à une récession (- 0,1 %), un sentiment partagé par l’OFCE (- 0,2 %).
La puissance de la TVA
Les ressources considérables de l’État proviennent essentiellement de quatre impôts, les plus discrets s’avérant les plus efficaces. En effet, c’est d’abord la TVA qui est le premier pourvoyeur de fonds. Toute personne qui consomme sur le sol français reverse sans le savoir – pour ce qui est des particuliers – de 19,6 % à 2,1 % selon les produits. La TVA rapporte donc à elle seule près de la moitié des ressources, 141,2 milliards d’euros selon le budget prévu en 2013. L’autre impôt indirect est tout aussi discret et ne concerne que les utilisateurs de véhicules à essence et diesel : c’est la fameuse TIPP, ou « taxe à la pompe », qui abonde le budget à hauteur de 13,7 milliards d’euros.
Mais alors, quid des impôts ? Celui que paient les personnes physiques ne représente « que » 23 % des recettes publiques, avec 71,9 milliards d’euros. Il est vrai que près d’un ménage sur deux en est exempté. Quant à l’impôt sur les sociétés, il apporte 53,9 milliards dans les caisses de l’État.
Ainsi, il apparaît clairement que, lorsque l’exécutif a besoin d’argent, il est plus consensuel et plus rentable pour lui d’augmenter les impôts indirects plutôt que les impôts directs. C’est précisément ce qu’a décidé de faire le gouvernement actuel en choisissant la voie de la hausse de la TVA. En décembre 2012, le Parlement a adopté une loi de finances rectificative (qui complète le budget de l’année) permettant l’augmentation des taux de TVA au 1er janvier 2014. Ainsi, le taux dit normal de TVA va passer de 19,6 % à 20 % : cela devrait permettre de dégager 3,6 milliards d’euros. Le taux intermédiaire (qui touche la restauration, le bâtiment…) augmentera de 3 points (de 7 % à 10 %), permettant d’engranger 3,8 milliards de recettes supplémentaires. Enfin, le taux réduit (produits de première nécessité comme l’alimentation, par exemple) sera revu à la baisse, passant de 5,5 % à 5 % : cet effort en faveur des consommateurs représentera un manque à gagner de 0,9 milliard pour l’État. Au total, le gouvernement Ayrault attend de ces modifications un gain de 6 à 7 milliards d’euros, qui sont intégrés dans le projet de budget 2014.
Des recettes en trompe-l’œil
Mais revenons à 2013 : dire que l’État dispose effectivement d’un budget de 313 milliards d’euros est en réalité incorrect. Ce serait ne tenir compte ni du principe de décentralisation, ni de l’appartenance du pays à l’Union européenne. En effet, 55,6 milliards sont destinés à être reversés aux collectivités territoriales tandis qu’un prélèvement de 20,4 milliards est opéré au profit du budget de l’Union. C’est dont près d’un quart des recettes de l’État qui lui sont soustraites à peine encaissées. On appelle ce qui reste les ressources nettes disponibles du budget général, soit 240 milliards d’euros. C’est uniquement ce poste qui permet de financer les dépenses de l’État.
Celles-ci sont, pour partie, des dépenses incontournables, mais, à l’heure des choix budgétaires, les priorités des gouvernements sont à chaque fois mises à l’épreuve du feu. Et chaque ministère use et abuse de son influence pour améliorer ou consolider son enveloppe budgétaire. Une objection définitive de Bercy peut parfois, comme à l’été 2013, se solder par la « peau » d’un ministre.
Depuis 2001, les dépenses du budget général sont présentées par mission et non plus par ministère. Cette évolution a permis au Parlement et aux citoyens d’avoir une plus grande visibilité concernant l’utilisation des deniers publics. En effet, une mission peut concerner plusieurs ministères, comme la mission écologie, développement et aménagement durable : elle peut tout aussi bien financer des actions en direction de l’éducation que dans le logement. Le budget 2013 comporte trente et une missions. Celles-ci sont décomposées en programmes de dépenses (130), dont les objectifs sont plus précis.
Globalement, cinq de ces missions absorbent près de 70 % des dépenses (sur un total de 302 milliards d’euros) ; par ordre décroissant, on trouve l’enseignement, les engagements financiers (les intérêts que l’État doit payer sur sa dette), la défense, la recherche et la sécurité. Elles accaparent une telle partie des ressources parce qu’elles sont difficilement compressibles, comme le salaire des fonctionnaires : près de 1 million pour l’enseignement scolaire, 300 000 pour l’armée et 250 000 pour la sécurité. Au total, les dépenses de personnel, toutes missions confondues, représentent 40 % des dépenses de l’État. Quant à la charge de sa dette, elle pèse pour près de 19 %.
Quarante ans de déficit budgétaire
On comprend bien alors la faible marge de manœuvre dont disposent les gouvernements. Celle-ci n’a fait que se contraindre sous la pression d’un décalage quasi institutionnalisé entre les recettes et les dépenses. En effet, depuis 1974, à l’exception du quasi-équilibre de 1980, les dépenses de l’État ont toujours été supérieures à ses recettes. Longtemps admis comme une façon de mettre de l’huile dans les rouages, le déficit budgétaire est devenu non seulement un enjeu politique (quels choix faire), mais aussi économique (comment le réduire), voire vital : il suffit d’observer la crise européenne portée par des pays très endettés comme la Grèce pour voir quelles peuvent être, dans des conditions extrêmes, les incidences des déficits à répétition.
En attendant de connaître, en décembre de chaque année, le vote définitif du Parlement sur le budget de l’année suivante, reprenons celui qui a été voté pour 2013. Pour des dépenses de 302 milliards d’euros, les recettes s’élèvent à 240 milliards d’euros. Il manque donc à l’État 62 milliards pour boucler ses comptes : c’est ce que l’on appelle le déficit budgétaire. Il se calcule chaque année et ne concerne que le budget de l’État. Il se différencie du déficit public, qui englobe le solde négatif des recettes et des dépenses de toutes les administrations publiques (APU), à savoir l’État, ses administrations centrales, les collectivités territoriales et la Sécurité sociale.
Ces deux déficits constituent des flux annuels, que l’État comble en empruntant tous les ans. S’accumulant d’année en année, ils forment un stock que l’on appelle la dette publique. À la fin du premier trimestre 2013, celle-ci s’élevait à 1 870,3 milliards d’euros ! La seule charge d’intérêt pour ce stock pèse près de 56 milliards d’euros dans le budget.
Le poids du déficit public d’un pays se mesure en le rapportant à sa création annuelle de richesses, c’est-à-dire à son PIB (produit intérieur brut). En 2012, le déficit public représentait 4,8 % du PIB. Si la prévision économique du gouvernement pour 2013 (+ 0,8 %) avait été tenue, ce déficit aurait été ramené à 3 % en 2013. On comprend bien que ce n’est pas le cas. La dette publique est elle aussi comparée au PIB : elle en représente 90,2 % !
Au niveau européen, le traité de Maastricht, signé en 1992, puis le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) contenu dans le traité d’Amsterdam de 1997 ont fixé des cadres stricts en matière budgétaire, une « règle d’or » : le déficit public des pays membres de l’UE ne doit pas dépasser 3 % de leur PIB et leur dette publique 60 % de leur PIB. Mais, depuis 2007, ces limites ne sont plus tenues, ni en France ni dans la plupart des autres pays de l’Union. La crise financière a conduit les États à soutenir leurs banques et leurs économies en ayant recours à un endettement accru pour financer cette bouée de sauvetage. Elle a été suivie d’une crise des dettes souveraines (les dettes des États), entraînant la zone euro au bord de l’implosion. Les pays les plus fragiles (Grèce, Irlande, Espagne, Portugal) ont été soumis à un régime budgétaire particulièrement draconien, surveillé de près par la Commission européenne et le Fonds monétaire international. Et la France, si elle n’est pas concernée par les coupes sombres des pays du Sud, se voit néanmoins contrainte de faire elle aussi de notables efforts pour rentrer dans le rang. Les traités européens, en encadrant plus strictement les politiques budgétaires des États membres, interfèrent désormais dans ces choix nationaux.