Non, Kant n’est pas un Aufklärer.
Loin, en effet, de « tout » accorder à la raison, Kant lui retire ses traditionnelles prérogatives ; quand il s’agit de la connaissance des existants, la raison devient une folle aventurière qui doit se discipliner pour se soumettre à l’entendement, seul capable d’effectuer la liaison requise par toute connaissance objective entre les concepts et l’expérience.
Comprenons bien que l’esprit est un ! Tant qu’on ne cherche pas à cerner tel ou tel usage de notre intelligence, dire « esprit », « raison » ou « entendement » est équivalent. En revanche, quand il s’agit de connaissance scientifique, Kant va parler de l’entendement comme source des concepts, parce qu’il faut que ces derniers puissent « déterminer », nous l’avons déjà vu, les phénomènes – ce qu’un concept tel que « infinité » ou tel que « totalité » ne peut faire. De tels concepts, qui ne peuvent s’appliquer à l’expérience, Kant les impute à la raison, et les appelle, en songeant de loin à Platon, des idées.
Critique de la Raison
La grande trouvaille de Kant consiste à, sans cesse, affirmer que d’un concept on ne peut tirer ni la connaissance, ni la certitude d’aucun existant : le « logique » n’enveloppe aucune « réalité » ! La non contradiction d’un raisonnement ou d’un concept n’indique rien quant à la réalité « possible » du conçu. Le possible, par conséquent, loin d’être ce qui est pensable sans contradiction, devient immanent à l’expérience et se définit par les conditions de celle-ci, non par celles de nos pensées.
Si la raison désigne en nous l’élan qui nous porte au-delà du donné, au-delà des faits, vers les questions qui touchent au sens des choses et de notre condition, elle est donc apte à enfourcher des chimères mais aussi à se discipliner elle même. S’il en est ainsi c’est donc qu’elle est la liberté ; ne répétons pas que s’il fallait un guide extérieur nous serions d’éternels mineurs.
Concluons ce point en rappelant que la foi en la lumière de la raison propre à l’esprit des Lumières a consisté à imaginer que les magnifiques succès de la « science nouvelle » permettaient d’envisager la disparition de la superstition, du fanatisme et de l’oppression. Kant, lui, restreint l’empire de la raison puisqu’en matière théorique, sa fonction est seulement négative : c’est une fonction de discipline et de critique.