Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le professeur américain d'origine polonaise R. Lemkin inventa, pour définir la tentative d'anéantissement systématique par les nazis des juifs et des Tziganes, le terme génocide. Cette expression gréco-latine de génocide voulait introduire pour les groupes entiers d'humains ce qu'était l'homicide pour un individu isolé. Le génocide reste le plus grave de tous les crimes contre l'humanité.
Les origines de l'antisémitisme allemand
Faut-il voir dans ce que les nazis ont appelé la « solution finale » un aboutissement inéluctable de l'antisémitisme germanique qui serait né dès l'installation de populations juives à l'époque de l'arrivée des légions romaines en territoire germanique ? Selon cette idée, l'antijudaïsme n'aurait fait que de se renforcer tout au long de l'histoire allemande jusqu'à en faire un des éléments fondateurs de la nation allemande. Durant cette longue période, les juifs furent alors soumis à des persécutions régulières.
En Allemagne comme ailleurs, I'antijudaïsme médiéval ne peut être dissocié du contexte religieux. Peuple à la fois accusé d'être déicide et choisi par Dieu, les juifs étaient pour les chrétiens tout à la fois synonymes de scandale et objets d'interrogation. Cette approche religieuse permet de comprendre leur mise en ghettos dès l'époque médiévale et la naissance de mythes que l'on retrouvera sous le IIIe Reich, à savoir celui de la double personnalité des juifs selon qu'ils étaient au-dehors ou au-dedans du ghetto, ou encore les mythes des meurtres rituels, des perversions sexuelles, de la puissance maléfique et du complot universel.
Au milieu du XIXe siècle, un Français, Arthur de Gobineau, proposa une classification et une hiérarchisation des races humaines.
Les publications de ce genre se multiplièrent dans toute l'Europe, avec pour base commune l'idée d'une évolution des espèces dont Darwin avait été l'initiateur. Le darwinisme fut ainsi détourné pour finalement déboucher, en Allemagne, sur une pseudoscience raciale qui plaça au sommet de la hiérarchie humaine la race nordique. Tout en rejetant vers les plus bas et plus vils échelons ce qu'elle dénommait « la juiverie » .
A partir de cette doctrine raciale se développa dans de nombreux pays européens un antisémitisme politique, social ou nationaliste, distinct de l'antijudaïsme, dont certains épisodes marquèrent les esprits, comme les multiples pogroms en Russie ou encore l'affaire Dreyfus en France. En Allemagne, un lien puissant se noua entre cet antisémitisme racial et le nationalisme pangermaniste permettant de mettre en évidence, pour ses adhérents, la nocivité de la race juive.
Hitler considérait la menace juive comme une menace infectieuse qui avait pour but de corrompre l'ensemble de la race supérieure. En octobre 1943, devant des chefs militaires SS, Himmler prononça cette terrible phrase : « Nous ne voulons pas, dans le processus d'élimination d'un bacille, être contaminés, tomber malades et mourir aussi ».
Quelle attitude des Allemands ordinaires faut-il alors retenir face à cet ignoble antisémitisme ? Celle qui approuva les lois de Nuremberg, car ces dernières flattaient l'antisémitisme traditionnel, ou bien celle qui désapprouva massivement les violences de la Nuit de cristal de novembre 1938 ?
Celle qui permit d'utiliser au minimum 100 000 bourreaux qui ne désobéirent pas pour mener à bien l'extermination des populations juives ou celle qui timidement montra son désaccord lorsque fut imposé aux juifs le port de l'étoile jaune et que commencèrent les premières déportations, ou encore celle de ces femmes allemandes qui osèrent manifester à Berlin, en 1943, pour obtenir la libération de leurs maris juifs ?
En fait, le sentiment le plus prégnant de cette période, qui s'étend de 1933 à 1945, semble être l'indifférence manifestée par la population allemande face à la tragédie vécue par les Juifs. Cette indifférence s'accrut encore davantage lorsque le régime bascula dans sa phase la plus meurtrière, alors que le secret des opérations était impossible à garder tant le nombre d'hommes participant aux massacres en Pologne et en URSS, ou simples témoins, était important.
D'autre part, la multiplication des camps et des Kommandos qui se comptèrent par milliers montrait aux Allemands les conditions épouvantables réservées à l'ensemble des communautés juives d'Europe.
Pourquoi une telle indifférence devant de telles horreurs ?
Pour certains historiens, il s'agissait d'une attitude délibérée qui permettaient de ne pas s'engager personnellement, car les Allemands étaient pris entre leur sentiment d'écoeurement face au sort réservé aux juifs et leur volonté de rester fidèles au Führer, qui symbolisait à leurs yeux la grandeur de l'Allemagne.
Comme le souligne le premier tract du mouvement de la Rose Blanche animé par les étudiants allemands Christophe Probst, Hans et Sophie Scholl, assassinés par les nazis en février 1943 : « Rien n'est plus indigne, pour un peuple civilisé, que de se laisser, sans résistance, régir par l'obscur bon plaisir d'une clique de despotes. Est-ce que chaque Allemand honnête n'a pas honte aujourd'hui de son gouvernement ? Qui d'entre nous pressent quelle somme d'ignominie pèsera sur nous et nos enfants quand le bandeau, qui maintenant nous aveugle, sera tombé et qu'on découvrira l'atrocité extrême de ces crimes ? »
En 1935, les lois de Nuremberg sur la protection du sang allemand ont fait des juifs allemands des étrangers dans leur pays : « Inspiré de la volonté indomptable d'assurer l'avenir de la nation allemande, le Reichstag a adopté à l'unanimité la loi suivante [...] : 1 - Les mariages entre juifs et ressortissants allemands sont interdits. 2 - Les relations entre juifs et Allemands en dehors du mariage sont interdites. 3 - Les juifs n'ont pas le droit d'employer dans leur ménage des ressortissantes allemandes de moins de 45 ans. »
Vers l'enfer de la « solution finale »
Aujourd'hui s'opposent les historiens intentionnalistes qui voient en Hitler le premier responsable de ce crime qu'il aurait longuement prémédité, aux historiens fonctionnalistes qui ne voient en Hitler qu'un élément d'un système ayant évolué et changé selon les circonstances. Cependant, pour la majorité des historiens, Hitler a su regrouper l'obsession antisémite de ses compatriotes mais sans avoir un programme fixé dès l'origine du mouvement nazi.
Le mois de janvier 1942 est souvent retenu comme point de départ du génocide juif car il correspond à la conférence de Wannsee (banlieue de Berlin) où furent coordonnées, au niveau européen, les actions à mener contre les juifs de toute l'Europe, y compris ceux résidant en Angleterre ou en Suisse. Cette conférence fut sans doute la plus explicite du programme nazi d'élimination des populations juives puisque le procès-verbal faisait référence à leur élimination physique.
Mais en faisant débuter le génocide à l'année 1942, on risque d'omettre les terribles actes de barbarie commis auparavant. Ainsi, les Einsatzgruppen de Himmler provoquèrent dès l'automne 1939, en Pologne, des milliers de morts parmi la population juive. Ces mêmes unités provoquèrent également, à partir de l'été 1941, des centaines de milliers de victimes juives en URSS dans le sillage de l'opération Barbarossa.
Dans le même ordre d'idées, il n'a pas fallu attendre la conférence de Wannsee pour que débutent les premiers gazages d'enfants, de femmes, de vieillards et d'hommes juifs à Chelmno et à Belzec.
La guerre accentua le problème juif pour les nazis puisque, si l'Allemagne de 1941 en comptait 170 000, l'Europe occupée en recensait près de huit millions. Il devint alors de plus en plus difficile pour les Allemands de faire disparaître les juifs des territoires qu'ils contrôlaient par une simple émigration. Cet accroissement explique les différentes mesures adoptées par les nazis à l'encontre des juifs.
Au départ, la méthode principale pour « purifier » le territoire allemand, selon la terminologie nazie, consista à faire émigrer les populations juives d'Allemagne et d'Autriche.
Le 24 janvier 1939, Goering confia à Heydrich la mission de mettre en place une centrale d'émigration pour les juifs sur le modèle de ce qui avait été fait à Vienne après l'Anschluss (annexion de l'Autriche) de mars 1938. Mais cette solution, qui devait rendre le territoire judenfrei (libéré des juifs), ne satisfaisait pas complètement Hitler qui désirait que la question juive fût traitée d'une façon définitive en regroupant l'ensemble des juifs d'Europe, voire du monde, dans une immense « quarantaine » qui aurait pu être l'île de Madagascar.
Même si l'extermination physique des juifs dans les chambres à gaz peut être considérée comme le point ultime d'exclusion après que les étapes précédentes eurent été franchies à des rythmes plus ou moins rapides selon les contraintes. Dans ce dramatique engrenage, la guerre fut un élément déclencheur évident puisque le régime s'engagea alors dans une folie meurtrière.
« Si le juif l'emporte, sa couronne sera la couronne mortuaire de toute l'humanité. [...] Etait-il une saleté quelconque, une infamie sous quelque forme que ce fût, surtout dans la vie sociale, à laquelle un juif au moins n'avait pas participé ? Sitôt qu'on portait le scalpel dans un abcès de cette sorte, on découvrait, comme un vers dans un corps en putréfaction, un petit youtre ébloui par celle lumière subite. »
Adolf Hitler, Mein Kampf (Nouvelles Editions Latines, 1924)