al-Djahiz
(Irak, vers 776-vers 869)
Abu Uthmân Amrû ibn Baḥr Mahbûn al-Kinânî al-Lîthî al-Baṣrî est connu par son surnom al-Djahiz : « à la cornée saillante ». En effet une malformation des yeux l’affligeait d’un aspect laid et repoussant. D’origine plébéienne, al-Djahiz a la chance de naître à Basra en Irak, à l’apogée de son histoire, c’est alors le centre culturel foisonnant de l’empire abbasside. Doué d’une curiosité intellectuelle étonnante, il suit les enseignements des grands savants de son temps : linguistes, philosophes, poètes, maîtres du kalam (la science de la religion). Il acquiert ainsi une maîtrise parfaite de la prose arabe, en même temps qu’une très vaste culture encyclopédique originale.
Tout ceci fait de lui, encore aujourd’hui, le représentant éminent de « l’Adab » : l’ensemble des qualités de l’honnête homme, fin connaisseur des Belles Lettres, « poli » de culture. Il donne à la prose littéraire sa forme la plus parfaite. Très vite il s’engage dans le mouvement intellectuel dominant à Basra et à Bagdad : le mu’tazilisme, idéologie fécondée par le rationalisme de la pensée grecque, le réalisme et l’ouverture à toute culture.
Une des thèses du mu’tazilisme, partagée par al-Djahiz, est celle qui considère le Coran comme crée. Autour de lui se tiennent des séances littéraires, à Basra, à la cour du Calife à Bagdad ou à Samarra. On y débat de sujets légers ou profonds : l’harmonisation de la raison et de la foi, les revendications des minorités non-arabes, l’influence persistante du zoroastrisme porté par les lettrés persans, mais aussi la parole et le silence, l’envieux et l’envié, l’amour et les femmes… De son œuvre immense (200 titres) seuls 30 nous sont parvenus. Elle aborde tous ces sujets d’une manière plaisante, élégante, pleine de verve, mais aussi féroce, satirique, sceptique. Excellent peintre des caractères de la société, il se permet, à la limite de la bienséance, de critiquer certaines catégories sociales (les maîtres d’écoles, chanteurs, scribes etc.). Sa démarche constante est de poser question sur des réponses communément admises : recourir à la rationalité, refuser les idées préconçues, tout ceci dans un style habile et élégant.
Le Kitab al-Hayawan, ou Livre des animaux est une véritable somme anthologique fondée sur l’observation scientifique du comportement des animaux, mais qui recense en outre tout ce qui se dit des bêtes : fables, légendes, anecdotes profanes, ou religieuses issues du Coran. L’œuvre est un témoignage inestimable de l’érudition et de l’humour de cet archétype de l’intellectuel du IXe siècle musulman. A côté des réflexions sur les insectes, bêtes à cornes, lions et serpents, dragons et rapaces, on y trouve l’étude de la psychologie des animaux, l’influence des climats sur leur comportement, et une ébauche théorique de l’évolution des espèces !
A cette riche période culturelle, sous le mécénat du calife al-Mamun, il sera mis fin par le calife al-Mutawakkil en 851. Al-Djahiz ne manquera pas alors de dénoncer le recul intellectuel qu’entraînera l’abandon du mu’tazilisme.
al-Mamun
(786-833)
Fils d’Haroun al-Rashid, il est méconnu du grand public. C’est pourtant grâce à son impulsion en politique du savoir que l’Occident médiéval devra plus tard son éveil intellectuel.
Homme d’action tout autant que de réflexion, al-Mamun consacre tout le début de son califat à assurer l’unité d’un empire immense, par la lutte contre la dissidence, le contrôle personnel de l’administration et de l’armée, et enfin la reprise de la guerre contre l’Empire byzantin. C’est aussi pour s’affirmer comme empire hégémonique, en face de Byzance, qu’al-Mamun, souverain abbasside, accentue de façon déterminante la suprématie intellectuelle de Bagdad dans le monde : la langue arabe doit devenir la langue de la science, de toutes les sciences. Il faut élaborer une culture nouvelle, intégrant les héritages persans, hellénistiques et indiens. Adepte de l’école mutazilite, il l’impose comme doctrine officielle. Elle prône l’ouverture d’esprit et le recours à la philosophie grecque pour arriver au concept de l’unicité de Dieu.
Pour ce faire, il accorde de larges pensions aux savants, aux traducteurs et aux lettrés. Il fonde, à Bagdad, la « Maison de la sagesse » (bayt al-Hikma) dans laquelle, outre une immense bibliothèque, il finance des traductions du grec, du syriaque, du persan, du sanscrit. Il y commande également des recherches de longue durée sur l’observation astronomique, ainsi que des ouvrages de sciences nouvelles tel que le « traité d’algèbre » d’. Bagdad devient alors un véritable foyer intellectuel et d’érudition, par la rigueur et la méthodologie scientifiques qui y règnent. Autour du calife se réunissaient hommes de sciences et de religion, lettrés et poètes, savants de toutes confessions pour des soirées de controverses et de discussions intenses. Leurs travaux irrigueront pour des siècles tout l’Empire jusqu’à l’Andalousie, qui les transmettra à l’Occident par une seconde vague, tout aussi fondamentale, de traductions vers le latin.
Il meurt près de Tarse en 833, laissant un testament recommandant la poursuite de son œuvre politico-religieuse.
Charlemagne (v. 742-814 ; r.771-814) était un contemporain d’al-Mamun.
Ibn Sīnā / Avicenne
(980-1037)
Né près de Bukhara, en Asie mineure, ibn Sīnā, connu en Occident sous le nom d’Avicenne, développe dès son plus jeune âge des facultés exceptionnelles : à quatorze ans, il dépasse déjà ses maîtres en sciences naturelles et en médecine. Il écrit son premier ouvrage de philosophie à 21 ans. Il est le médecin et le conseiller politique des plus grands princes de son temps et exerce à plusieurs reprises la fonction de ministre. Les princes voulant l’attacher à leur service, il dut se cacher et vivre de ses consultations médicales, avant de pouvoir vivre, dans une paix relative, pendant quatorze ans à la cour d’Isfahan, avant de mourir à Hamadân en 1037. Le Qânûn (Le Canon), somme des savoirs médicaux à l’époque d’Avicenne, est considéré comme l’une de ses œuvres majeures ; il allait servir de base, pendant plus de sept siècles, à l’enseignement et la pratique médicale, dans le monde arabe puis dans le monde occidental.
Son traité de médecine « al shifa », le Traité de la guérison, ainsi que le Le Canon seront traduits en Latin en Andalousie, et seront à la base de l’enseignement de la médecine en Occident médiéval jusqu’à la Renaissance : c’est « l’avicennisme latin » de la scolastique médiévale. Avec Le Canon, Avicenne établit un cadre rationnel pour penser la médecine de manière systématique : en recourant constamment aux règles de la logique et en appliquant à la médecine les règles par ailleurs posées, le philosophe fait de la médecine une véritable « science ».
Sur le plan philosophique aussi sa pensée inspirée des Grecs anciens aura une immense influence : le théologien Thomas d’Aquin exploite sa théorie de la distinction de l’essence et de l’existence, une des bases de la philosophie scolastique néo-aristotélicienne.
Ibn Ruchd / Averroès
(1126-1198)
Né à Cordoue dans une famille de cadis (équivalent du ministre de la justice), Averroès a reçu une formation complète en matière de fiqh (doit musulman), de hadith (faits et gestes du prophète) et de kalam (discours sur la foi).
Esprit prolifique et curieux, il se lance ensuite dans l’étude des « sciences des Anciens » : philosophie, astronomie, physique, médecine, et acquiert une compétence particulière en controverse. Il incarne, en Andalousie, le modèle du penseur musulman, cet « honnête » homme éclairé en toutes matières, comme Avicenne qui venait, lui, de Transoxiane, à l’autre bout des terres d’Islam. Cadi de Séville, puis de Cordoue, il est appelé ensuite à Marrakech par le roi almohade Abû Ya’qûb Yûsuf pour devenir son médecin personnel, à la suite du célèbre Ibn Tufayl. C’est le souverain Yûsuf qui demande à Averroès de se plonger dans l’étude d’Aristote. Ses nombreux travaux portent sur les fondements du droit, la physique, la médecine, mais c’est surtout par ses études sur la théologie et la philosophie qu’il se distingue et prend la célèbre place qu’il tient dans l’histoire des idées.
Son traité « Tahafut al tahafut » - « réfutation de la réfutation » est une réponse au philosophe al-Ghazali qui s’était livré dans sa « tahafut al-falasîfa » (« réfutation de la philosophie ») à une critique de la philosophie, opposée à la démarche de foi.
Averroès développe une pensée philosophique originale, qui reste d’ailleurs assez méconnue en Islam. S’opposant à Avicenne, il refuse l’idée d’un Etre nécessaire par soi et fait de Dieu l’Agent de l’univers, présent au monde physique qu’il régit. « On ne peut séparer essence et existence… » « Dieu est présent au monde physique, mais n’en est pas moins transcendant.. »
Pour lui, deux voies d’accès s’ouvrent à la recherche de la vérité : celle du philosophe : de la raison, et celle du prophète : de la révélation.
Il exclut l’existence de deux vérités, l’une destinée au commun, l’autre aux esprits éclairés, pour admettre au contraire l’existence de deux aspects d’une même vérité. En cela, il est proche d’al-Farabi. C’est en tant que « grand commentateur d’Aristote » qu’il aura une postériorité célèbre en Occident médiéval : en effet, c’est à travers ses traductions en Latin que les professeurs et étudiants de la montagne Sainte-Geneviève, d’Oxford, de Bologne, et de Louvain découvriront et étudieront Aristote – dont ils n’avaient pas les textes originaux - pendant plus d’un siècle.
L’ « Averroïsme latin » avait une telle présence en Occident chrétien, que Thomas d’Aquin (+ 1274), pour lutter contre son influence, écrira « contra Averroïstem » pour donner aux étudiants une lecture chrétienne d’Aristote. A la fin de sa vie Averroès, victime de juristes orthodoxes cordouans, est exilé, et ses œuvres philosophiques sont brûlées. Son protecteur al-Mansour, souverain de Cordoue, le fera réhabiliter. Mais Averroès meurt à Marrakech, d’où son corps sera rapatrié dans sa ville natale.
Saladin Ier
(Mésopotamie, 1138-1193)
Saladin succède à son oncle Chirkuh en 1169 et devient vizir du calife fatimide (chi’ite) du Caire. Envoyé en Egypte pour y rétablir le sunnisme, Saladin, qui est kurde, abolit le califat fatimide en 1171, et fonde des madrasas sunnites. Poursuivant son combat contre les Francs, il s’empare peu à peu des possessions zenguides et fait une entrée triomphale à Damas en novembre 1174.
Il peut alors réaliser son ambition : réunifier la Syrie sous son autorité de souverain ayyoubide et sunnite pour se retourner contre les Francs. La chute d’Alep, puis de Mossoul consacre son titre de « al-Malik al-Nasir », (le roi victorieux), et lui donne les moyens de cette ambition. Il impose une guerre permanente aux Etats francs. Pour gérer ce grand empire, Saladin s’appuie sur son armée qu’il réorganise, sa famille, et sur un remarquable bureau de la chancellerie qui le maintient informé de tout ce qu’il se passe dans les provinces reculées comme dans les territoires des Francs. Un véritable système de propagande est mis en place. Les espions sont également précieux : certains sont des Francs passés à l’ennemi. Sibylle, l’épouse du prince d’Antioche, l’informe des mouvements de l’armée chrétienne dans sa principauté.
En Egypte, il avait conservé de bonnes relations avec les commerçants italiens de Pise, mais il interdit aux commerçants chrétiens locaux de commercer en mer Rouge. En 1183, après un raid des Francs en mer Rouge sous la conduite de Renaud de Châtillon, sanguinaire impulsif, Saladin peut enfin déclarer le djihad. Ses forces, en 1185 sont considérables.
Les Républiques de Gênes et de Venise lui fournissent du bois pour sa flotte, et des armes. A Hattin, près de Tibériade, il écrase toute l’armée franque le 4 juillet 1187. Grand seigneur, il fait libérer Guy de Lusignan, roi de Jérusalem, et met le siège devant la ville sainte, qui tombe le 2 octobre 1187.
Le Saint-Sépulcre est fermé, les mosquées réouvertes. Loin de rendre aux Francs leur massacre de 1099, Saladin paie lui-même le rachat de 8 000 chrétiens, en fait libérer 10 000, et vend les autres comme esclaves. Seul Renaud de Châtillon paiera pour sa sauvagerie : Saladin se charge lui-même de lui trancher la tête devant les barons francs. Cette reprise de Jérusalem entraînera la 3e croisade.
Ibn al-Arabi
(1165-1240)
Cet auteur, grand mystique, naît à Murcie (Espagne), dans une famille qui compte plusieurs adeptes au soufisme. A l’âge de huit ans, il suit son père à Séville et débute alors son éducation. Alors qu’il était malade, il aurait eu une vision qui bouleverse sa vie et développe son inclinaison religieuse. Grand voyageur, il va de ville en ville, en Espagne d’abord, puis à Tunis, au Caire, à Jérusalem ; il entreprend ensuite le pèlerinage à La Mecque, où il reste deux ans. Il mène une vie calme de lecture et d’enseignement et compose de nombreux ouvrages qui exerceront une grande influence. Il conseille ainsi sur les questions religieuses le souverain des Seljuqides de Rûm, Kay Kâ’ûs Ier (r. 1210-1219) lorsque ibn al-Arabi s’était établi en Anatolie, où ses idées eurent beaucoup d’influence.
Ibn al-Arabi était un contemporain de Philippe Auguste, roi de France (r. 1180-1223) et de Chrétien de Troyes (v. 1135 - v. 1190).
Baybars Ier
(Égypte-Syrie, né vers 1223 ; r. 1260-1277)
Baybars aurait d’abord été l’esclave du sultan ayyûbide al-Malik al-Salih, qu’il accompagne en prison en 1239 et quelques mois plus tard, il combat en Syrie pour le compte du sultan d’Egypte. Il devient un soldat aguerri et multiplie les faits d’armes. Accompagné d’un groupe d’officiers, il fait assassiner son prédécesseur, le sultan Kutuz. Baybars devient alors en 1260 le quatrième sultan de la dynastie mamlûke (1250-1517), un terme qui veut dire « esclave ». Il marque le début de son règne par la consolidation des citadelles qui avaient été dévastées par les invasions mongoles, le remaniement des arsenaux, la construction de vaisseaux de guerre et de transport… Au début de l’année 1265, il part à la tête de son armée lancer une grande offensive contre les Francs, qui ne s’achèvera qu’en 1271. Les pertes territoriales pour les Croisés sont considérables à la mort de Baybars Ier en 1277. Il va poursuivre l’expulsion progressive des Croisés en Palestine.
Baybars Ier était un contemporain de Louis IX, « Saint Louis » (r. 1226-1270).
Rachid al-Din Fadl Allah
(v. 1247-1318)
Cet homme d’Etat persan, considéré comme le plus grand historien de la période il-khanide, naît dans une famille juive d’Hamadhân. Il reçoit une formation de médecin et intègre alors la cour mongole sous cette fonction. D’origine juive, il se convertit à l’islam dans les années 1270 et il n’eut de cesse toute sa vie de prouver sa foi musulmane, notamment par la rédaction d’écrits théologiques. Malgré une longue carrière dans les hautes sphères politiques, il ne fut pourtant jamais nommé ministre à part entière. Rachid al-Din Fadl Allah est particulièrement connu pour son travail d’historien, notamment avec son Histoire universelle (Jami ‘al-Tawârîkh), ouvrage commandé par le souverain mongol Ghazan (r. 1295-1304). Composé en cinq parties, l’Histoire universelle relate notamment l’histoire des Mongols, mais aussi des Juifs, des Francs, des Chinois et des Arabes… Accusé d’avoir empoisonné le souverain Öljeytü, il est exécuté en 1318 avec son fils Ibrâhîm.
Ibn Battuta
(1304-1377)
Né à Tanger, berbère, il reçoit une formation juridique traditionnelle, puis part dans une pérégrination qui durera trente ans. Celle-ci le conduit en Egypte, Syrie, Arabie, Irak, Afrique occidentale, Anatolie, Transoxiane, Inde, Ceylan, aux Maldives, en Insulinde, Chine, ainsi qu’en Sardaigne, Ifriqya, Algérie et Andalousie.
Il devient ainsi le plus éminent voyageur et géographe de son temps. Il rentre ensuite à Fès où il dicte à partir de 1355 sa relation de voyages à Ibn Juzayy, un lettré chargé par le souverain mérinide Abû Inân de collecter ses informations. C’est une quête éminemment religieuse qui le conduit au voyage. A Alexandrie, il rencontre les mystiques soufis, moment déterminant pour son parcours religieux, qu’il cherche sans cesse à approfondir à travers les diplômes, les tombeaux visités et les affiliations aux ordres mystiques.
A Damas, il obtient treize diplômes en trois semaines, et assure définitivement sa réputation de saint homme et juriste compétent : il peut ainsi monnayer les postes honorifiques et les titres, ce qui lui permettra de continuer voyages et recherches. Il s’arrête de longues années à la cour du Sultan de Dehli, et occupe le poste de Cadi (juge suprême), aux Maldives.
Ibn Battuta s’est attaché toute sa vie à remonter aux sources de la religion, aux fondateurs mystiques, et sa relation de voyages illustre de façon vivante l’unité de la pratique religieuse et sociale, jusque dans des confins très récemment islamisés, dans et malgré un monde musulman très morcelé. Reprenant parfois des informations d’Ibn Jobayr, il livre des renseignements inédits et très précieux pour son temps, en particulier sur l’Inde, l’Insulinde, l’Anatolie, l’Asie centrale et certains pays africains, alors pour une bonne part méconnus.
Ibn Khaldun
(1332-1406)
Abd al-Rahman Ibn Khaldun est né à Tunis d’une grande famille de notables émigrés d’Andalousie. Tout jeune il est plongé dans les dramatiques soubresauts d’un siècle maghrébin en plein déclin. En 1348, il a quinze ans et la Grande Peste Noire, dont l’horreur le marquera toute sa vie, le rend doublement orphelin. Elle emporte ses parents et ses maîtres, avec lesquels il avait commencé à assimiler l’essentiel du savoir de son temps : poétique, historiographie, théologie, jurisprudence et philosophie. Toute sa vie se passera en succession de charges honorifiques dans la diplomatie, la magistrature, la chancellerie, et de disgrâces – prison y compris – au service de princes usurpateurs, envahisseurs, en proie aux rivalités de clans, aux assassinats, forfaitures, et guerres intestines. Il vivra successivement en Tunisie, au Maroc, en Algérie, en Andalousie et en Orient. Mais de ce chaos, cet esprit génial saura lire l’ordre caché. De cette anarchie il fera émerger les lois de l’Histoire comme science, les principes de son étude à travers l’analyse de l’ensemble des phénomènes sociaux.
C’est au château d’ibn Salama, dans le district d’Oran, où il vécut quatre années de sérénité, qu’il pose les bases de al-Muqaddima ou les Prolégomènes à sa Chronique universelle et amorce d’une réflexion ethnologique. Il y développe l’analyse de açabbiyya : « esprit de clan, de parti », et de « umran » : « civilisation » dont les deux pôles, bédouinité et citadinité s’opposent de manière récurrente. Sa réflexion le conduit à analyser la critique historique, l’incertitude des chiffres, les causes des erreurs, l’homme comme animal politique, les sept climats de la géographie humaine, l’influence de l’air sur le comportement humain, les classes sociales, l’aptitude aux arts, les langages et les sociétés… Sa pensée embrasse l’ensemble des phénomènes sociaux, et sa lucidité devant les drames de son temps est sans ambages. La sociologie est pour lui auxiliaire de l’histoire, cette « science nouvelle ». Sa pensée est éminemment réaliste, logique, il se méfie de la raison spéculative. Il étudie l’étiologie des déclins, les symptômes et maux dont meurent les civilisations : il est clair, pour lui, que la sienne vit ses derniers jours et que l’avenir appartient à d’autres bords…
Plusieurs chercheurs, dont Yves Lacoste, n’ont pas manqué de rapprocher sa pensée de celle de Marx : en effet il parle de « classes sociales », et du mouvement dialectique de la bédouinité et de la citadinité. Il est d’une étonnante modernité lorsqu’il utilise les notions de contradictoire, antithétique, opposition, complémentarité des contraires, ambiguité et complexité des sociétés. Ibn Khaldoun développe un concept de psychologie sociale très riche et nuancée, se divisant en psychologie politique, économique, éthique, tout ceci formant une psychologie générale inscrite dans l’Histoire.
Ses nombreuses volte-faces politiques, mouvementées, l’ont fait accuser par certains de carriérisme et d’opportunisme. Sa vie entière, véritable reflet de son temps, fut parsemée de drames - il a perdu sa femme et tous ses enfants dans un naufrage. En outre, ni son enseignement ni sa al-Muqaddima ne firent d’émules ou de successeurs. Sa pensée se perd dans les convulsions des siècles de déclin du monde arabo-musulman pour n’être redécouverte qu’en 1697 par d’Herbelot, puis Silvestre de Sacy en 1806.
Tahmasp Ier
(Iran, 1514-1576 ; r. 1524-1576)
Second souverain de la dynastie des Safavides et fils aîné de Chah Ismaïl, il accède au trône en 1524, âgé d’à peine 10 ans. Il doit donc se soumettre à l’influence des Qïzïl-bash, des nomades turcs ralliés aux Safavides. C’est dans un contexte marqué par les révoltes et les batailles que débute son règne : chiites, les Safavides doivent faire face aux attaques de leurs voisins sunnites, comme les Ottomans et les Turkmènes. Son règne de plus de 52 ans, durant lequel il a réussi à maintenir un royaume fragile, s’achève avec les incursions des Uzbeks, par une famine et la peste. Sa cour favorise un grand développement artistique, notamment grâce à son mécénat. Il meurt empoisonné en 1576.
Tahmasp Ier était un contemporain de Charles Quint (r. 1516-1555).
Aurangzeb
(Inde, 1618-1707, r. 1658-1707)
Troisième fils de l’empereur moghol Chah Djahan, Aurangzeb est nommé vice-roi du Deccan en 1636, fonction qu’il abandonne en 1644, probablement par peur de ne pas être choisi par son père pour la succession au trône. Il accepte cependant d’être gouverneur du Gujarat en 1646, puis de Multân (1648). Aurangzeb établit dès lors sa réputation d’administrateur et de général, malgré ses défaites face aux Persans, lors des sièges de Kandahar (1649 et 1651). En 1657, Chah Djahan tombe malade. La guerre de succession (1658-1659) entre les quatre fils de Chah Djahan s’achève sur la victoire d’Aurangzeb, qui célèbre son couronnement le 5 juin 1659, après avoir fait exécuter ses frères. Au long de son règne, il doit faire face à de nombreuses guerres qui ravagent son royaume, conduisant peu à peu à l’affaiblissement de l’empire moghol. Aurangzeb est réputé pour être rigoriste, méfiant et conservateur, et avoir régné selon les préceptes les plus stricts de l’islam. L’interdiction de professer le culte hindou qu’il décide d’établir en 1669 provoque de grandes révoltes, tout comme la réintroduction de la jizia, un impôt prélevé seulement sur les non-musulmans. Il s’est montré également d’une sévérité extrême à l’encontre de toute représentation figurée. Aurangzeb meurt en 1707, à l’âge avancé de 89 ans. Il est le dernier des grands moghols.
Aurangzeb était un contemporain de (1638-1715, r. 1643-1715).
Fath Ali Chah
(Iran, 1771-1834 ; r. 1797-1834)
Né sous le nom de Bâbâ Khan, il gouverne plusieurs provinces comme le Fârs et le Kermân (Iran), avant d’être désigné héritier du trône perse en 1796 par son oncle Aqa Muhammad Khan, qui sera assassiné en 1797. Cette même année, il monte sur le trône en prenant le nom de Fath Ali et devient ainsi le deuxième souverain de la dynastie qadjare. Au cours de son règne de plus de 38 ans, marqué par les nombreuses guerres, notamment avec la Russie, Fath Ali Chah a noué d’importantes relations avec l’Europe, et plus particulièrement avec la Grande-Bretagne. Ainsi, la réforme de l’armée perse fut d’abord conseillée par des officiers français, puis britanniques. Fath Ali Chah est réputé pour avoir gouverné de manière arbitraire et autocratique, tout en instaurant un rituel de cour pompeux et solennel.