Très tôt, Camus divise son œuvre en cycles répartis sur trois portées : récit, théâtre, essai. Les deux premières lui permettent d’incarner des thèmes abordés dans la dernière. Ainsi, l’absurde prend chair avec Meursault (L'Etranger) ou Caligula.
Sisyphe ou le « cycle de l’absurde »
Pour Camus, l’absurde, constat douloureux de la rupture de l’homme avec le monde, est un point de départ, non une conclusion. Dans l’essai de 1942, Le Mythe de Sisyphe, le héros grec symbolise la répétition des actes d’une vie machinale mais Camus fait aussi de ce « travailleur inutile de enfers » un personnage tragique parce que conscient. La pause lors de la descente lui permet d’accéder à la conscience.
Prométhée ou le « cycle de la révolte »
En 1947, La Peste montre que les cycles ne sont ni rigides, ni étanches. Dans cette chronique, Sisyphe et Prométhée cohabitent, représentant les deux temps de la révolte : le premier, au niveau individuel, refuse la condition que lui font les dieux, le second affirme la cause de l’homme et veut son affranchissement.
En 1951, avec L’Homme révolté, Camus aborde la révolte collective : « Je me révolte donc nous sommes ». Si le seul problème philosophique sérieux dans l’essai de 1942 est le suicide, dans celui de 1951, c’est le meurtre. L’homme révolté n’est plus seul, il se révolte contre ceux qui veulent le réduire en esclavage. Camus ne pose pas le problème de la révolte d’un point de vue abstrait, universel, mais dans un contexte occidental : comment l’homme, au nom de la révolte, s’accommode-t-il de la terreur ? Comment cette révolte aboutit-elle aux univers totalitaires de notre époque ? Comment l’homme justifie-t-il le crime et l’asservissement au nom de l’Histoire ?
Dans cet essai composé de cinq parties, Camus étudie la révolte d’un point de vue historique, littéraire, artistique, philosophique et en montre les perversions. La justice et la liberté sont antinomiques et nécessitent de trouver un compromis. L’ouvrage se termine sur un éloge de la mesure : « La pensée de midi » qui est le contraire de la résignation. Aux totalitarismes européens, il oppose l’équilibre grec et méditerranéen.
Némésis ou le « cycle de l’amour »
« Le troisième étage, c’est l’amour : Le Premier Homme, Don Faust. Le Mythe de Némésis. » (Carnets, 1956). Le Premier Homme est un roman inachevé. Publié en 1994, il devait illustrer ce cycle de l'amour à peine ébauché...
Les publications hors cycles
Chez Edmond Charlot éditeur
Le jeune libraire-éditeur Edmond Charlot publie à Alger, avant la guerre, les deux premiers essais d'Albert Camus :
- En 1937 L’Envers et l’Endroit, recueil de cinq textes entre récits et essais dans lesquels Camus, lors de sa réédition en 1958, voit la « source » de son œuvre :
« Pour moi, je sais que ma source est dans L’Envers et l’Endroit, dans ce monde de pauvreté et de lumière où j’ai longtemps vécu et dont le souvenir me préserve encore des deux dangers contraires qui menacent tout artiste, le ressentiment et la satisfaction». Œuvres Complètes, I, p. 32 La figure de la mère silencieuse apparaît dans ce premier ouvrage. On la retrouve dans L’Etranger, La Peste ou Le Premier Homme.
- En 1958, Camus rêve de mettre « encore au centre de cette œuvre l’admirable silence d’une mère et l’effort d’un homme pour retrouver une justice ou un amour qui équilibre ce silence ».
- En 1939, les quatre essais de Noces mêlent récit, poésie et réflexion philosophique. Ces textes prennent parfois, tout comme ceux de L’Envers et l’Endroit, un tour autobiographique. Ce recueil, dont le titre invite au lyrisme, dit l’accord de l’homme et du monde.
- Charlot publiera enfin, en mai 1950, Le Minotaure ou la halte d’Oran, écrit en 1939 et qui sera intégré dans L’Eté en 1954.
Chez Gallimard éditeur
- Camus réunit en 1954 sous le titre L’Eté, huit textes écrits entre 1939 et 1953. Le recueil s’articule autour du thème « solaire » ; il oscille entre espoir et souvenir. Selon Camus, « une sorte de fil d’or » unit Noces à L’Eté.
- Avec La Chute, en 1956, Camus met fin à un silence relatif et renoue avec la fiction. Ce récit, qui appartenait à l’origine aux nouvelles de L’Exil etle Royaume, revient sur la querelle avec les existentialistes. Réfugié dans l’enfer des canaux d’Amsterdam, Jean-Baptiste Clamence, ancien avocat parisien, conseiller des truands, receleur, devenu « juge-pénitent », garde toujours la maîtrise de la parole dans un monologue très théâtralisé.
- En 1957, L’Exil et le Royaume révèle la maîtrise de l’écriture camusienne. A partir d’un schéma très simple, d’une situation banale, l’auteur livre six nouvelles d’une étonnante variété quant aux titres, aux lieux, aux protagonistes. Le recueil traite, nous dit Camus dans le Prière d’insérer, du thème de l’exil « de six façon différentes, depuis le monologue intérieur jusqu’aux récits réalistes. […] Quant au royaume dont il est question aussi, dans le titre, il coïncide avec une certaine vie libre et nue que nous avons à retrouver, pour renaître enfin ».