L’amour
Il peut être heureux chez Baudelaire. Quand la femme devient muse, inspiratrice, source de beauté nouvelle et d’exotisme, le transport est réel. On devine les présences de trois femmes dans le livre : Jeanne Duval, métisse des îles Bourbon, amazone sensuelle avec laquelle Baudelaire vit une passion orageuse. Marie Daubrun, figure de l’idéal inaccessible, qui préfèrera à Baudelaire le poète Théodore de Banville. Apollonie Sabatier, figure angélique, qui montre à Baudelaire la voie d’un possible salut. Mais la femme peut aussi être dominatrice, faire souffrir. Elle est alors comparée au « vampire », car elle prive le poète de son génie, en le détournant de la création. La misogynie de Baudelaire est prégnante et révélatrice de l’attraction-répulsion qu’il ressent à l’endroit de la femme, autre « fleur du mal ».
Le voyage
C'est un thème récurrent du livre. rêve d’un « ailleurs » exotique, passé ou futur, car il a une aversion pour « l’ici » et le présent. La quête d’un monde lointain, auquel on accède par le souvenir ou la rêverie, devient une échappatoire qui propulse le poète vers une trajectoire ascendante.
Le vin
Il permet à Baudelaire de sublimer la banalité du quotidien. L’ivresse devient l’occasion d’un voyage intérieur et d’une évasion.
L’Alchimie
C'est le motif qui structure en profondeur la réflexion baudelairienne autour de la création poétique. se considère comme un alchimiste qui transforme la laideur du réel en beauté : « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or », écrit-il dans son poème « Orgueil ». Le poète se doit de transformer le réel par le verbe, en en extrayant la quintessence. Mais l’art alchimique suppose un pacte avec le Diable, comme le signifie la légende de Faust. Toutes les références à l’alchimie dans le livre sont à considérer comme des moments de métadiscours.
Le spleen
Il traverse l’œuvre entière de Baudelaire. En raison du titre oxymorique de la première section, « Spleen et Idéal », du pantoum que forment les quatre poèmes, « », et aussi de son autre grand livre, Petits poèmes en prose, le spleen de Paris, publié de manière posthume en 1869, le spleen doit être considéré comme le grand motif baudelairien. « Le spleen » signifie « la rate » en anglais, c’est-à-dire le siège de la bile noire, qu’Aristote appelait dans les Problemata, « la mélancolie ou l’humeur noire ». Depuis l’Antiquité, il existe une équivalence entre la mélancolie, le génie et la folie. Baudelaire marche donc sur les traces d’Aristote, auteur du chapitre 30 des Problemata, « L’homme de génie et la mélancolie », en conférant au spleen des connotations très négatives renvoyant à l’angoisse, à l’apathie (absence de mouvement) et à l’aboulie (absence de volonté). « L’Ennui » est synonyme de « Spleen » dans le recueil et devient « l’Ennemi » contre lequel le poète lutte en vain.
Paris
C'est l’un des grands thèmes des . Baudelaire fait l’éloge de sa ville dans les « Tableaux Parisiens ». Dans cette deuxième section de l’édition de 1861, Baudelaire dit sa nostalgie du vieux Paris détruit par Haussmann. Il y peint aussi l’ambiance étrange et interlope des quartiers où l’on croise des assassins et des prostituées. Paris fait de Baudelaire l’un des premiers poètes de la modernité, en raison d’une prédilection pour l’urbain, la vitesse, et l’artifice.
L’artifice
« Ars longa, vita brevis » : Baudelaire a fait sienne la formule d’Hippocrate. L’art est supérieur à la nature en ce sens où il est éternel. Tournant le dos à la nature pour lui préférer l’artifice, Baudelaire rejette violemment le classicisme. Depuis Aristote, l’auteur de La Poétique, la nature est le modèle indépassable que les artistes ne font que copier (principe de la mimesis.) Par ailleurs, la nature est la création de Dieu. Ainsi, faisant l’éloge de l’artificiel, Baudelaire fait table rase des données du classicisme et d’une révérence encore obligée au divin.
Le dandy
Il est le type idéal pour qui lui consacre un développement dans Le Peintre de la vie moderne (1863). Il est selon le poète « le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences. » Son raffinement vestimentaire, sa haute culture littéraire, ses gouts d’esthète et son impertinence entrent en résistance contre la vulgarité d’une époque où le matérialisme bourgeois dicte ses lois. Les Anglais Brummell et Byron sont les ancêtres du dandy baudelairien, qui poussent le principe dans ses retranchements, relativement à l’ironie, la froideur et la provocation. Ainsi, le dandy est un soleil de glace : « Le caractère de beauté du dandy consiste surtout dans l’air froid qui vient de l’inébranlable résolution de ne pas être ému ; on dirait un feu latent qui se fait deviner, qui pourrait mais qui ne veut pas rayonner. » II semble que nous ayons ici un art poétique en même temps qu’un autoportrait.
La maladie
Elle est omniprésente dans le livre, à commencer par son titre. En effet, « mal » peut signifier « maladie », puisque Baudelaire dédie à Gautier « ces fleurs maladives ». On trouve le poème « la muse malade », qui indique bien que Baudelaire reconnait au morbide quelque beauté. En digne poète de la modernité, il cherche le beau là où la poésie classique ne s’est jamais aventurée. Ainsi, il trouve des charmes à la maigreur, aux corps phtisiques et androgynes. Les poèmes, « A une mendiante rousse », « La danse macabre » sont emblématiques de ses goûts étranges. D’ailleurs, pour Baudelaire « Le Beau est toujours bizarre ».
La prostitution
C'est l’un des thèmes scandaleux du recueil, prostitution dont Baudelaire fait pourtant l’éloge paradoxal dans des poèmes comme « La Muse vénale », ou « Le Crépuscule du soir ». Il s’agit pour lui d’ancrer la poésie dans une forme d’amoralité, allant de pair avec ses choix d’esthète.
L’art
Pictural ou musical, il est très présent dans le livre. Il constitue une planche de salut pour le poète. La peinture et ses « phares » guident les hommes dans la nuit. La musique invente un ailleurs harmonique. Baudelaire est l’auteur de nombreux écrits sur l’art et dessinait lui-même assez bien. , et Constantin Guy étaient de ses amis.
Le poète maudit
Il est ainsi défini par Verlaine en 1884, lorsqu’il évoque ses contemporains, Rimbaud et Mallarmé. La terminologie s’applique à Baudelaire également qui, de par son procès, a été rejeté dans les marges. La société a condamné l’artiste comme dans les écritures Dieu a condamné Satan. C’est en raison de cette correspondance symbolique que la poétique baudelairienne s’oriente sans équivoque vers le mal.
Le diable
Il accompagne le poète maudit dans la création. Baudelaire ressent une forme d’empathie avec Satan en raison de sa misère mais aussi de sa puissance négatrice qui le hausse au rang de créateur. La section « Révolte » fait ainsi l’éloge de trois figures qui se sont opposées à Dieu, à savoir Satan, et saint-Pierre. On peut les considérer chacun comme des doubles du poète qui par son art rejette le modèle divin, la nature, en même temps que les notions classiques de « Beau » et de « Bien » qui lui sont intrinsèques. En fait, la damnation volontaire devient la condition d’un art nouveau.
La mort
Elle est le terme du voyage et l’enfer son mode d’expression douloureux. Cette recherche du néant est cependant une recherche active, puisqu’elle engage la création dans des directions absolument inédites. Avec son poème final, « Le voyage », Baudelaire convoque la mort qui devient le but ultime à atteindre et qui lui permettra de « trouver du nouveau ». L’inconnu, s’il faisait peur à Hamlet, n’effraie pas le poète, car ce dernier devine que seule la mort peut inspirer une poésie encore jamais écrite. L’enthousiasme de Baudelaire se fonde donc sur des principes diamétralement opposés à la doxa classique. C’est en raison de ce bouleversement - incompris au XIXe siècle - que le poète des Fleurs du mal est considéré aujourd’hui comme le père de la modernité poétique.