GUERRE D'ALGÉRIE | de la colonisation à l'indépendance...
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Lettres croisées (Septembre 61 - Mai 62)

Présentation

Deux classes de troisième du collège Léon Blum de Villiers-le-bel (95) ont croisé leurs recherches, leur imagination, leur talent aussi, pour réaliser cette correspondance entre deux adolescents pendant la dernière année de la guerre d'Algérie.

Les 3°1 ont inventé Nicolas, le petit fils de Louis Joubert, soldat de Verdun conçu par les élèves de l'année précédente (voir le journal de guerre de Louis Joubert). Les 3°7 ont créé Djamel (la beauté en Arabe, voir calligraphie couleur), jeune apprenti mécanicien de Villiers-le-bel.
Préparés par l'étude en classe du Porteur de cartable d'Akli Tajder, nourris de leurs recherches documentaires, ils ont donné à leurs personnages une famille, des passions, des interrogations...

Septembre 1961 : Nicolas a dû quitter Villiers-le-bel pour Oran. Des lettres se succèdent alors et s'entrecroisent, ponctuées de petites anecdotes et de grands événements. Deux voix se font l'écho d'un conflit meurtrier, trop souvent passé sous silence.

Ce projet d' écriture s'est enrichi de visites (Mosquée de Paris, Institut du Monde Arabe, Atelier Photographique de l'Abbaye de Royaumont) et de rencontres (Anciens combattants de la FNACA, M. Le Recteur Boubakeur, Fellag pour son spectacle Le dernier chameau, M.Smaïli, témoin de la manifestation du 17 octobre 1961...). Une exposition sur les années 60 est venue agrémenter ce travail collectif avant que les élèves n'atteignent enfin la dernière étape de leur aventure : réaliser leur propre livre relié grâce aux conseils d'un relieur.

Le livre

Présentation

Septembre 1961, Djamel Selmi est resté à Villiers-le-bel, son meilleur ami : Nicolas Joubert a suivi sa famille à Oran où son père a été nommé receveur des Postes. Jusqu'en mai 1962 leurs lettres vont se croiser, nourries des souvenirs d'une enfance commune. Mais derrière Kopa et Mekloufi, derrière les premiers succès de Johnny et des Beattles, l'Histoire est en marche : O.A.S., F.L.N., attentats, De Gaulle, Harkis, Pieds Noirs... 1962 est la dernière année d'une guerre qui ne dit pas son nom. Nicolas et Djamel se reverront-ils ?
Par-delà la fiction de leur recueil de lettres, écoutons les voix de ces jeunes auteurs pour entendre, ici et là, les échos d'une page majeure de notre histoire à tous.
Cette correspondance imaginée par deux classes de troisième fait partie d'une trilogie sur les guerres du XXe siècle dont le premier livre raconte la vie du grand-père de Nicolas (Le Journal de guerre de Louis Joubert). Le troisième livre mettra en scène l'occupation autour du destin du père de Nicolas.

Collège Léon Blum,
2 rue Léon Blum, 95400 Villiers-le-bel

Alain Degenne est professeur de Lettres modernes.
Renaud Farella est professeur d'Histoire-Géographie.
Auteurs des lettres : deux classes de troisième (2003-2004).
Avec la participation de M. Bompard, conseiller technique et relieur.

Extraits de l'ouvrage

1re lettre de Djamel

Mardi septembre 1961,

Cher Nicolas,
Tout le monde dort, il est tard, je suis dans ma chambre et j'aimerais bien mettre mon disque de Johnny Hallyday mais je risque de réveiller Aïcha...
Comment vas-tu ? Tu vois, je prends des nouvelles de toi et de ta famille. Depuis votre départ, papa et Yéma sont tristes, c'est vrai qu ils s'entendaient bien, nos parents, tout comme nous ; est-ce que tu as emporté avec toi la tirelire en bois que mon père t avait faite ?
Tu sais, depuis que tu es parti, je me sens seul, je voudrais bien te rejoindre là-bas, à Oran pour découvrir mon pays. Quand je pense que tu es là-bas et moi ici, c'est pour ainsi dire le monde à l envers !
A Radio Luxembourg, on a encore annoncé des attentats à Alger et à Oran aussi, fait attention à toi et à la petite Elise.
Chez nous, Yéma s'inquiète quand mon frère prend le train pour Paris chaque matin. Tu sais qu'il commence sa troisième année de médecine ? Papa dis que l'Algérie aura besoin de docteurs et Farid travaille beaucoup.
Mais moi aussi, je travaille ! Tu connais ma passion pour les voitures. J'ai trouvé une place d'apprenti dans le garage qui fait le coin de la rue, juste à côté de la boulangerie de Mireille où on passait après les cours pour acheter des Globos. J'ai commencé depuis une semaine. Le patron, Monsieur Vincent, est très exigeant sur le travail mais, pour le moment, je m'en sors bien.
Yéma est très fière de moi et j'ai hâte de touché ma première paye...
Et toi comment s'est passée ta rentrée ? Parle-moi du temps qu'il fait là-bas, de l'ambiance. Ici il pleut, il pleut, il pleut... mais tu connais Villiers le bel !
Aïcha te passe le bonjour, elle a fait sa rentrée au cours élémentaire et me parle souvent de toi, c'est comme si tu m'avais volé mon rôle de grand frère mais rassure-toi, je ne t'en veux pas !
J'espère avoir de tes nouvelles le plus tôt possible, prends bien soin de toi et de ta famille.
Djamel, ton éternel ami.
Salutations de toute la famille Selmi à la famille Joubert.

2e lettre de Nicolas

Cher Djamel,
Déjà presque un mois que je suis ici, que j'ai le cœur rempli de tristesse ! Notre séparation me peine... Quand je me souviens des quatre cents coups que nous avions pu faire tous les deux ou du jeudi après-midi où l'on regardait la télévision, ensemble, sous la table de la salle à manger ou encore nos matchs de football au parc après les cours... En ce temps là, nous étions heureux. Et c'était il y a quelques mois. Mais tout ceci est à la page du souvenir maintenant...
Je me souviens aussi de notre équipe de football et ne puis alors m'empêcher de te demander les scores depuis le début du championnat, sommes-nous toujours en tête ? Elise m'interroge aussi, souvent, afin de savoir qui a pris ma place de capitaine, est-ce toi ? Elle qui est si triste en ce moment en serait ravie. Il faut dire que rien ne contribue à son bonheur : par exemple, l'autre jour, nous décidâmes avec mes parents de l'emmener faire un tour sur le port afin de lui changer les idées. Malheureusement, des jeunes de mon âge, que j'avais rencontrés lors de mon inscription dans mon nouveau lycée, le lycée « Lamoricière » du centre ville, nous interpellèrent en nous traitant de francaoui, tu penses que nous rebroussâmes chemin !
Je ne sais pas pourquoi les gens ne veulent pas comprendre que nous sommes arrivés à Oran à cause de la mutation de mon père. Encore des histoires de politique... Mais tu sais Djamel, moi je m'en fiche de la politique. Je n'y ai d'ailleurs jamais rien compris ! Moi la seule chose que je veux, c'est être avec toi et retrouver tous mes amis. Alors, je ne sais pas lequel des deux partis il faut choisir pour que mes rêves se réalisent : une Algérie algérienne ou une Algérie française, peut-être aucune des deux. Peut-être que tu es « destiné » à vivre dans « ton Algérie » et moi dans « ma France » ou l'inverse. Je ne sais pas. Mais bien que l'histoire soit en marche, il faut vivre.
Vivre à Oran, que d'agitation ! Entre la surveillance incessante des patrouilles françaises et la cathédrale qui se trouve à quelques mètres de chez moi et qui sonne chaque heure, tu peux aisément imaginer, pas besoin de te faire un dessin.
En parlant de dessin, je t'ai dessiné la façade de mon nouveau lycée, comme tu peux le voir (moi je fus très surpris d'y trouver des palmiers). Des dessins c'est l'une des premières choses que j'ai faites après notre installation (je t'envoie le plus beau).
Au fait, je ne t'ai pas raconté mon voyage, pourtant un grand voyage : lorsque nous avons pris le bateau, nous nous sommes perdus dans le dédale des couloirs, puis, Elise et moi ayant trop mangé de bonbons, fûmes légèrement malades et c'est la robe de ma pauvre petite sœur qui en paya les frais. Par la suite, je me suis endormi. Je ne peux donc pas te dire la durée du voyage. Ce qui est sûr, c'est la joie d'Elise quand nous descendîmes de ce qui était pour elle un « vilain gros bateau ». Le trajet vers notre nouvel appartement, qui se trouvait au-dessus d'une épicerie, se serait déroulé sans incident si une patrouille française qui était jusque là sur le trottoir d'en face n'avait pas déboulé dans une épicerie et, justement, celle en dessous de chez nous. Nous réussîmes tout de même à rejoindre notre logement et investir les chambres, ce qui était notre seule idée, même pour moi qui avais pourtant dormi.
Je suis désormais dans la même chambre qu'Elise, celle-ci ne peina d'ailleurs pas, à s'endormir ; en cinq minutes elle était dans les bras de Morphée ; pourtant, tu dois te rappeler lorsque tu étais venu chez nous, passer le réveillon du nouvel an, le mal qu'elle avait eu à s'endormir, alors imagine un tel changement, je pensais qu'elle ne trouverait pas le sommeil. Le lendemain seulement, nous déballâmes nos affaires. Elise pleurait car elle ne trouvait pas la poupée de chiffon qu'Aïcha lui avait offerte pour son anniversaire, ce qui n'était pas étonnant vu que mon père l'avait mise avec le nécessaire de toilette ! Tout comme la tirelire de bois que m'avait faite ton père, il l'avait rangée avec ses chemises ! Quelle organisation ! Avec Elise, nous retrouvâmes aussi des photos de ton anniversaire. Depuis mon impatiente de sœur n'arrêtait pas de me demander de vos nouvelles à tous. Imagine alors notre joie lorsque mon père ramena il y a quelques jours ta lettre ! Quel bonheur de la lire !
Il faut que je pose ma plume, maman m'appelle pour dîner ! Passe le bonjour à tout le quartier, surtout à Aïcha et à tes parents de la part de la famille Joubert !
Amicalement, Nicolas.

Les auteurs

• Les élèves

Achouri Farid
Agonhoumey Landry
Ally Sarahnby
Amar Sandra
Antoinette Célia
Ayadi Amelle
Azala Sonia
Balourd Corah
Baroukh Delphine
Bavay Elodie
Belmaati Cherkaoui Mehdi
Benaaza Habiba
Bensalem Rim
Biabiany Matthieu
Blaise Ilavendhan
Bulut Irfan

Civel Romain
Cestor Rémi
Djodi Sandra
Florina Steve
Fritsch Kevin
Granville Gauthier
Kaddour Nadia
Latreche Imane
Le Fraternité Sandrine
Khaldi Mimouna
Khattout Fatiha
Khattout Fatima
Klutse Atsouvi Loîc
Laîne Cynthia
Lasfargues Celine
Lazizi Houda

Leveneur Fabien
Maboang Bagnack Thierry
Mballa Kevin
Magnier Lydie
Moumni Moustapha
Oketen Nihat
Oz Marie-Rose
Passat Marina
Richard Philomène
Shadig Anissa
Silva Joyce
Tournaire Stéphanie
Ulger Cennet
Ulger Gokhan
Yildiz Lisette


• Les enseignants

Professeur de lettres : Alain Degenne
Professeur d'Histoire : Renaud Farella

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